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Enfants intoxiqués par les pesticides en Gironde, dix ans après : « On pensait que Villeneuve engendrerait des actions »

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Le docteur Pierre-Michel Périnaud est président de l'association Alerte des médecins sur les pesticides, basée à Limoges. Il a suivi l'intoxication, il y a dix ans, des 23 enfants et de leur enseignante dans l'école primaire de Villeneuve (Haute-Gironde)peu après le traitement de parcelles de vignes proches de l'établissement. Le 5 mai 2014, les écoliers avaient été intoxiqués après l'épandage de produits sur des vignes voisines, l'enseignante avait été hospitalisée. L'événement a marqué un tournant dans...

Le docteur Pierre-Michel Périnaud est président de l'association Alerte des médecins sur les pesticides, basée à Limoges. Il a suivi l'intoxication, il y a dix ans, des 23 enfants et de leur enseignante dans l'école primaire de Villeneuve (Haute-Gironde) peu après le traitement de parcelles de vignes proches de l'établissement. Le 5 mai 2014, les écoliers avaient été intoxiqués après l'épandage de produits sur des vignes voisines, l'enseignante avait été hospitalisée. L'événement a marqué un tournant dans la prise de conscience de l'impact des épandages agricoles sur la santé. Autant la société civile que le vignoble bordelais ont été marqués. Six années de procédure judiciaire ont abouti à une condamnation à 5 000 euros d'amende avec sursis par la cour d'appel de Bordeaux pour les deux viticulteurs ayant procédé aux épandages.

Comme beaucoup d'écoles en Gironde, celle de Villeneuve est entourée par les vignes.

archives J. J.

Quel souvenir gardez-vous de cette affaire ?

En ce mois de mai 2014, les intoxications à Villeneuve nous font toucher du doigt que les cancers pédiatriques sur lesquels on travaille déjà ne sont pas la seule conséquence de l'exposition aux pesticides. Il y a donc aussi les intoxications, visibles et celles qui passent inaperçues. À ce moment-là, nous avions déjà lancé notre appel, celui de 1 200 médecins, à diminuer les pesticides.

Quelles actions les intoxications de Villeneuve ont-elles déclenchées ?

Quelques mois après, en 2015, avec la révélation des nombreux cancers à Preignac, l'expertise de l'Inserm a permis d'apporter un raisonnement scientifique. Nous avons été reçus à a direction générale de la Santé où nous avons pu faire des propositions. On a étendu notre questionnement aux autres régions viticoles de France en travaillant à partir du registre national des cancers pédiatriques avec des données sur la localisation des cas et un diagnostic très précis. Deux grandes études ont alors été mises en place : GéoCap puis PestiRiv.

Quelles sont les conclusions de ces études ?

Géo cap, dont les résultats ont été publiés à l'automne 2023, montre que dans un rayon de 1 km, si la densité de vigne augmente de 10 %, le risque de leucémie aiguë et de tumeur augmente de 5 à 10 %, sur l'ensemble des régions viticoles françaises. 10 % n'est pas un chiffre fort mais en santé environnementale, on ne voit jamais ça.

Quels espoirs aviez-vous après ces actions ?

On pensait que les intoxications de Villeneuve engendreraient un choc et des actions, que les autorités se mobiliseraient, qu'une politique de prévention allait suivre. Pour nous, c'était évident. Les résultats ont été divulgués au monde scientifique en juin 2022 puis au public à l'automne 2023 mais rien ne se passe… Le ministère de la Santé nous répond qu'il faut attendre l'étude suivante, PestiRiv (de Santé publique France et l'Anses sur l'exposition aux pesticides des personnes vivant en zones viticoles et non viticoles attendue en 2025), pour mettre en place une politique.

Qu'attendez-vous de l'étude PestiRiv ?

Nous espérons qu'elle précise les mécanismes d'exposition de la population aux pesticides : est-on exposé par l'alimentation, l'air, l'eau ? Ces données sont importantes pour les autorités car elles permettront de construire une politique de prévention, nous explique-t-on… Nous continuons d'affirmer que c'est à la source qu'il faut agir, en diminuant l'exposition donc en développant l'agriculture biologique. Il faut prendre conscience que l'alimentation est un outil de santé publique.

« On ne saura pas tout mais cela ne doit pas nous dispenser d'agir »

Où en est-on de la connaissance aujourd'hui ?

Depuis l'étude de l'Inserm en 2013, il y a un faisceau d'arguments qui montrent le lien pesticides-leucémie-tumeurs cérébrales-troubles de la fertilité, y compris lors d'utilisation de pesticides en usage domestique.

Selon vous, que faut-il faire en premier lieu ?

Il faut avoir des données précises d'exposition aux produits chimiques. Les semaines d'été, il y a plusieurs fongicides en même temps dans les champs, près des habitations et des écoles. Les agences sanitaires ont besoin de preuves mais il n'y a pas d'obligation de fournir les données d'usage de pesticides à la parcelle près : quelles doses, quelles molécules, à quelles périodes ? Il faut avoir enfin ces données-là pour protéger la population. On pourra ainsi déterminer si un pesticide ou un cocktail est dangereux. On ne saura pas tout mais cela ne doit pas nous dispenser d'agir. Nous avons collectivement un devoir de protection des enfants, donc, en premier, occupons-nous des écoles.

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