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Sept questions sur la première demande d'autorisation d'un mini-réacteur nucléaire en France

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Les grosses usines françaises vont-elles bientôt disposer de leurs propres centrales nucléaires ? La start-up française Jimmy a officiellement déposé une demande d'autorisation pour son petit réacteur modulaire, lundi 29 avril. L'objectif est de fournir en chaleur le complexe industriel du groupe sucrier Cristal Union / Cristanol, qui produit de l'alcool et du bioéthanol à Bazancourt (Marne). Ces nouveaux acteurs profitent des incitations du gouvernement pour développer le secteur, dans le cadre du programme France 2030.

1 Comment ce petit réacteur nucléaire fonctionne-t-il ?

Le rôle de ce petit réacteur modulaire (PRM) sera de fournir de la chaleur sous forme de vapeur, autour de 450°C, en remplacement des brûleurs actuels de l'usine, qui fonctionnent au gaz. Ce PRM est notamment composé d'un réacteur à haute température, dans lequel a lieu la fission nucléaire. "Il s'agit d'une technologie complètement différente des réacteurs du parc actuel", explique Sébastien Israël, chef du service des nouveaux réacteurs à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). "Le combustible, ce sont des particules dites 'triso' : de l'oxyde d'uranium enrobé de trois couches de matériau, qui constituent des billes de l'ordre du millimètre." Celles-ci sont placées dans des blocs de graphite. L'hélium présent dans les circulateurs conduit la chaleur jusqu'à un échangeur, sur lequel vient se brancher l'usine.

Ce cube de 20 mètres de haut sera installé directement sur le site du client industriel. Le groupe Jimmy assure que ses équipements ont une espérance de vie de vingt ans, nécessitant une recharge après dix ans, et que chacun des réacteurs permet d'éviter de relâcher jusqu'à 350 000 tonnes de CO2 dans l'atmosphère. Dans le cas de l'usine Cristanol de Bazancourt, la puissance du PRM serait de 10 mégawatts, 430 fois moins que la puissance attendue pour l'EPR de Flamanville.

2 Que sait-on de la start-up française Jimmy ?

Jimmy Energy est une jeune start-up fondée en 2020 par un polytechnicien, Antoine Guyot, et une diplômée d'HEC, Mathilde Grivet. Elle fait partie des onze projets de "réacteurs nucléaires innovants" qui ont remporté des aides de l'Etat dans le cadre du programme France 2030. A ce titre, Jimmy avait bénéficié de 32 millions d'euros, sur les 130 millions attribués dans ce volet. Elle a également attiré une vingtaine de millions d'euros d'investissements privés. Ces modules doivent être assemblés sur le site du Creusot (Saône-et-Loire), où se trouve la plateforme industrielle du groupe. Jimmy a déposé le mois dernier une demande d'autorisation pour y bâtir son futur atelier d'assemblage.

3 En quoi ces réacteurs représentent-ils un défi technologique ?

Le combustible représente encore un défi industriel. "Les gros réacteurs utilisent des barres de combustible d'uranium enrichi à 3% ou 4%, pour lesquelles il y a beaucoup de producteurs, dont le français Orano" (ex-Areva), relève Ludovic Dupin, directeur de l'information de la Société française de l'énergie nucléaire (Sfen). "Mais ici, il s'agit de produire des combustibles plus enrichis, à 20%, et sous des formes différentes". Ce qui nécessitera la création future de chaînes d'approvisionnement. 

L'IRSN va notamment intervenir sur l'expertise technique du rapport préliminaire de sûreté, le calendrier réglementaire prévoyant jusqu'à trois ans pour l'autorisation de création. "Il va falloir qu'on ait des garanties sur le combustible, qui n'est pas actuellement utilisé en France", explique Sébastien Israël, de l'IRSN. Ces particules "triso" ont déjà été fabriquées dans le pays, mais uniquement à des fins de recherche et développement. "On va insister sur sa qualité et le bon comportement de ce combustible, qui est une des pierres angulaires de la démonstration de sûreté de ce type de réacteur, y compris en cas d'accident", souligne le cadre de l'IRSN.

4 Que vont devenir les déchets produits par ces réacteurs nucléaires ?

Selon Ludovic Dupin, ces réacteurs de quatrième génération ont vocation à réduire la quantité de déchets nucléaires, en valorisant davantage de matière que les technologies actuelles. Ces déchets suivront, quoi qu'il en soit, le circuit classique : stockage géologique pour les déchets de haute activité et stockage en surface pour ceux de basse activité. Reste à savoir comment seront contrôlées au quotidien ces petites unités, concède le membre de de la Société française de l'énergie nucléaire. "L'enjeu de télé-opérabilité des petits réacteurs est un enjeu qui sera à traiter dans les années qui viennent."

5 Quel est l'intérêt de ces petits réacteurs pour l'industrie française ?

Quand on pense nucléaire, on pense immédiatement production d'électricité. Mais ces petits réacteurs vont apporter "de nouveaux usages pour décarboner l'économie, veut croire Ludovic Dupin. On parle peu de la production de chaleur, alors que c'est un gros enjeu de transition énergétique pour l'industrie." Chimie, sidérurgie, verre, ciment... Le gouvernement avait signé l'an passé des contrats avec les cinquante sites industriels les plus émetteurs de CO2, afin qu'ils réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre de 45% d'ici 2030.

6 Quand ce mini-réacteur pourrait-il commencer à tourner ?

Le dossier a été déposé lundi auprès du ministère de la Transition écologique, qui devra ensuite saisir l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Contacté par l'AFP, le ministère a confirmé la réception de cette demande. "L'Autorité de sûreté attend la saisine du ministère", a répondu l'ASN, dont le travail d'instruction peut prendre au moins trois ans. Jimmy, de son côté, a pour objectif de livrer un premier réacteur en 2026. Tout en concédant que "ce calendrier est jugé ambitieux par l'ASN", elle affirme que "les délais confirmés par les fournisseurs et les progrès récents dans le lancement de l'instruction le rendent réalisable". 

7 D'autres entreprises projettent-elles de construire des mini-réacteurs ?

Jusqu'ici, rappelle l'AFP, l'Autorité de sûreté nucléaire ne traitait qu'avec quatre opérateurs historiques : EDF, Orano, Framatome et l'Andra, l'agence des déchets. Mais les acteurs sont de plus en plus nombreux à se positionner sur le créneau des PRM. L'ASN suit actuellement dix projets. Elle estime que les plus matures sont les réacteurs à eau légère, et notamment le prototype Nuward, porté par le groupe EDF, ou la chaudière de Calogena. Les réacteurs au sodium, puis les réacteurs à haute température - comme Jimmy - se trouvent à une étape intermédiaire.

"Tous les acteurs n'ont pas le même niveau de ressources et les mêmes moyens, ils ne sont pas tous au même stade de développement", souligne Sébastien Israël, du côté de l'IRSN. Ludovic Dupin, lui, préfère souligner le sérieux des projets à l'étude. "Cela ne veut pas dire que le passage à l'échelle industrielle fonctionnera pour l'ensemble d'entre eux, mais ils se basent sur de la science solide."

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