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"Nuclear Now", le documentaire pro-nucléaire d'Oliver Stone : "C'est très long pour un spot de pub"

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Dans son film diffusé ce dimanche sur Paris Première, le réalisateur de "Tueurs nés" préconise un recours massif à l'énergie atomique pour lutter contre le réchauffement. Pour l'expert Yves Marignac, la démonstration est bancale.

Oliver Stone au National Reactor Innovation Center (Idaho), avec Ashley Finan, sa directrice. MEDIAWAN

Par Samuel Gontier

Publié le 05 mai 2024 à 17h02

Au terme de son documentaire Nuclear Now, diffusé dimanche 5 mai à 21 heures sur Paris Première, Oliver Stone claironne : « Il faudra bientôt fabriquer des réacteurs à la chaîne, comme les avions. » Le cinéaste américain livre un plaidoyer exalté pour une « incroyable énergie » qui, selon lui, « pourrait bien nous sauver » du réchauffement climatique. « C'est très long pour un spot de pub », raille Yves Marignac, expert nucléaire et énergie, porte-parole de l'Association négaWatt. Pour nous, il éclaire les multiples failles et impasses de l'argumentation déployée par Oliver Stone.

Le refus de la sobriété

« Le parti pris le plus fondamental de ce film, c'est l'impasse sur la sobriété », estime Yves Marignac. Le terme n'apparaît pas une seule fois dans Nuclear Now. S'il milite pour la décarbonation, seul moyen de garder vivable la planète, Oliver Stone prévoit tout de même une véritable bombance énergétique : « Le volume d'électricité décarbonée dont on aura besoin ces trente prochaines années est presque inimaginable, de deux à quatre fois notre consommation actuelle. » D'où l'indispensable recours au nucléaire. « Pourtant, dans son dernier rapport, le Giec insiste sur la nécessité de modérer la demande », rappelle l'expert de négaWatt. Le cinéaste américain semble en être resté à la déclaration de George Bush père en 1992 au Sommet de la Terre à Rio : « Le mode de vie américain n'est pas négociable. » Pour Yves Marignac, « le nucléaire est le totem de ceux qui ne remettent pas en cause la consommation. Un moyen d'afficher son volontarisme face au dérèglement climatique en différant l'action ».

Impasses techniques

« Rien n'est dit sur les coûts réels du nucléaire ! », s'insurge Yves Marignac. Nous connaissons l'exemple de l'EPR de Flamanville, dont les coûts et les délais de construction ont explosé. Mais la relance du nucléaire américain a connu le même échec. Quant à la fermeture soit-disant « prématurée » de vieux réacteurs, Nuclear Now les impute à des décisions politiques. « Les raisons sont économiques, corrige l'expert. En dehors de l'Allemagne, ce sont les exploitants qui reculent devant le coût des travaux pour maintenir en service des installations vieillissantes. Ces réacteurs ne sont plus compétitifs. »

Justement, Oliver Stone se garde bien de comparer les coûts du nucléaire à ceux, largement inférieurs, des renouvelables. Il se contente de renvoyer éolien et photovoltaïque à leur insuffisance en termes de volume de production - logique quand on refuse de jouer sur la consommation. Pourtant, l'Ademe (Agence de la transition écologique), RTE (Réseau de transport d'électricité), négaWatt ont chacun proposé des scénarios de transition énergétique avec 100 % de renouvelables, tout comme le Giec au niveau mondial.

Yves Marignac, de l'association négaWatt , à la Sorbonne, en 2019. Photo Marc Chaumeil/Divergence

Cet effacement des énergies renouvelables va de pair avec une glorification des promesses technologiques des SMR (Small Modular Reactor). Oliver Stone imagine en installer un sous chaque maison ! Ces petits réacteurs censés être construits à la chaîne ont été développées voilà soixante-dix ans pour la propulsion des sous-marins. Les contrôler une fois déployés dans des usines, des villes, des collectivités est « impossible », observe Yves Marignac, car « aucun modèle de gouvernance n'existe ».

Son aveuglement guide Oliver Stone jusqu'à la centrale de Beloïarsk, dans l'Oural, où il admire un réacteur à neutrons rapides. « Cette technologie procède d'un vieux fantasme, cingle Yves Marignac, celui de réutiliser le combustible plusieurs fois. Un rêve des années 1970. Or, cette technologie est très sensible. En termes de prolifération, le plutonium utilisé comme combustible peut servir à fabriquer une bombe. » Le risque est aussi industriel, souligne l'expert : le sodium liquide utilisé comme caloporteur peut s'enflammer au contact de l'air, exploser au contact de l'eau. Dans Nuclear Now, ni le plutonium ni le sodium ne sont nommés.

La géopolitique ignorée

Oliver Stone ne se soucie guère que des réacteurs au plutonium nourrissent la prolifération ni du danger que représentent les réacteurs utilisant de l'uranium enrichi, dont le combustible usé contient des matières radioactives susceptibles d'être incorporées dans des bombes. Le cinéaste va jusqu'à faire l'éloge des réalisations de la Chine et de la Russie, deux pays moteurs de l'industrie nucléaire. Mais aussi deux régimes autoritaires qui exportent leur technologie pour se constituer de fidèles vassaux. Quant à l'extraction et à la provenance du combustible, elles ne sont pas même évoquées. « Le nucléaire a la spécificité d'induire une double dépendance, précise Yves Marignac. À la matière première, l'uranium naturel, mais aussi à la matière transformée, l'uranium enrichi. Dont l'entreprise russe Rosatom domine le marché, avec 25 à 30 % des fournitures de l'Union européenne. » En ces temps de guerre en Ukraine et de sanctions contre la Russie, un tel fil à la patte se révèle encombrant…

Une vision techno-solutionniste

Si le nucléaire ne s'est pas plus développé, soutient Oliver Stone, c'est en raison de la peur des populations. Une peur née de la bombe, entretenue par les accidents de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima, par la croyance en la dangerosité des faibles radiations, « jamais prouvée ». Leur innocuité n'a pas non plus été démontrée, conteste Yves Marignac : « On n'a pas trouvé de seuil en-deçà duquel il n'y a pas d'effet. » « Phobie de la contamination », insiste pourtant Nuclear Now, peur d'une guerre atomique qui aurait « gagné notre subconscient » : l'accusation d'irrationnalité est une antienne des défenseurs du nucléaire, qui se rangent ainsi du côté de la raison.

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Oliver Stone se rallie aux citoyens qui « ne veulent pas de solutions partisanes ni idéologiques, mais des solutions pratiques ». « Ce qui le gêne, c'est que la critique du nucléaire aboutisse à une critique du système économique, politique, géopolitique, résume Yves Marignac. Lui s'y refuse absolument, il ne voit qu'un seul problème : l'énergie est carbonée. La transformation des modes de production et de consommation lui est insupportable. » On y revient. En limitant le dérèglement climatique à un problème technique, le réalisateur dépolitise totalement la question de l'énergie. Son film ne constitue donc pas une base de discussion solide pour décider si, oui ou non, l'atome a sa place dans les scénarios de transition écologique.

p Nuclear Now, documentaire d'Oliver Stone diffusé sur Paris Première le dimanche 5 mai à 21h. Suivi d'un débat à 22.45 et d'un entretien avec Oliver Stone.

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