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Catastrophe de Furiani : 32 ans après, la douleur et le souvenir d'un drame insensé

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Soudain, la ferveur a laissé place au fracas. "Et ce fut l'horreur" titrait le journal L'Équipe dans son édition du lendemain, ou encore "La fête mortelle" pour Le Méridional. Le 5 mai 1992, à 20h20, l'horreur s'est effectivement emparée de Furiani, quelques minutes avant le coup d'envoi de la demi-finale de coupe de France entre le Sporting Club de Bastia et l'Olympique de Marseille. C'est à cette heure précise que la partie haute de la tribune latérale provisoire, construite à la hâte pour l'occasion, s'est effondrée, emportant dans sa chute des milliers de spectateurs. Le bilan sera terrible, et fait toujours aussi froid dans le dos 32 ans après : 19 morts et 2 357 blessés. Un désastre qui aurait pu, aurait dû, être évité, causé, au choix, par l'inconscience, l'incompétence, l'imprudence et l'appât du gain de ceux qui ont provoqué le drame.

Chantier fou

Celui-ci s'est noué bien en amont de ce soir maudit du 5 mai 1992. Le 23 avril, au lendemain de sa qualification face à Nancy (0-0, 3 t.a.b. à 0), le Sporting Club de Bastia hérite du flamboyant OM du début des années 90 pour une demi-finale historique de coupe de France. Papin, Boli, Pelé, Deschamps ou Mozer ont rendez-vous dans deux semaines avec le SCB, l'occasion d'une magnifique fête, et pour d'autres de faire une jolie recette. Ce miroir aux alouettes fait prendre une décision insensée aux dirigeants bastiais : détruire, illégalement, puis reconstruire la tribune Claude-Papi (du nom du mythique joueur corse décédé en 1983) en l'espace de dix jours. 125 mètres de long, 15 de haut, 9 500 places, des chiffres qui donnent le vertige.

Et surtout, les problèmes se multiplient au cours de ce chantier express (une société se retire devant l'impossibilité de réaliser l'édifice, grève des dockers de Marseille qui paralysent l'arrivée de certains matériaux), autant d'oiseaux de mauvais augure qui auraient dû alerter les décideurs. Mais rien n'y fait, et les règles élémentaires de sécurité sont bafouées, comme ce choix fou d'utiliser des tubulaires pour la partie supérieure, celle qui s'effondrera, ne correspondant pas à ceux mis en place pour les deux autres tiers de la tribune. Loin de ce chantier mortel, qui ne sera terminé que la veille de la rencontre, la frénésie populaire monte. Malgré le tarif des places prohibitif (entre 200 et 500 francs), toutes les places sont vendues en 48 heures.

"Mais qu'est-ce qui nous arrive ?" "Il arrive ce qui devait arriver. On tombe !"

Mardi 5 mai 1992, le drame ne peut plus être évité, la machine infernale commence. Dès 18h le stade est rempli jusqu'à la gueule, les écrous de desserrent, des morceaux de métal lâchent, des planches aussi, l'atmosphère entre supporters bastiais et marseillais est volcanique, voire détestable. De son côté, Jean-Pierre Paoli, speaker du stade, multiplient les appels au calme. À 20h15 les équipes rentrent au vestiaire sans savoir qu'elles ne retourneront pas sur la pelouse pour disputer un match de football. Cinq minutes plus tard, c'est l'apocalypse.

Mario Albano, chef de rubrique au Provençal à cette époque là, raconte dans le livre à but caritatif "Furiani 20 ans" édité par la section Provence de l'UJSF en 2012. Comme de nombreux journalistes, il était au sommet de la tribune. "20h20, d'un coup, le tremblement, je m'accroche au pupitre de bois, bouée dérisoire pendant que Patrick (Fancello, reporter au service des sports du Provençal, Ndlr) me lance : 'Mais qu'est-ce qui nous arrive ?' 'Il arrive ce qui devait arriver. On tombe !' Ma réponse n'a pas le temps de sortir de ma bouche, elle reste coincée, là, entre mon cerveau et mes lèvres tandis que nous nous fracassons au sol."

C'est au moment d'achever son journal de 20h sur TF1, et de rendre l'antenne à Jean-Michel Larqué et Thierry Rolland, que Patrick Poivre d'Arvor s'aperçoit qu'il se passe quelque chose d'anormal à Furiani. Quelques secondes plus tôt, dans un souffle et un vacarme impressionnants, la partie haute de la tribune latérale vient de s'effondrer, emportant avec elle des milliers de personnes 15 mètres plus bas. Les cris, l'effroi, les blessés, les morts, et une situation d'urgence.

Tapie : "J'en ai soulevé des barrières..."

Très vite, la pelouse sert d'hôpital de fortune et les spectateurs, professionnels de secourisme et même joueurs et dirigeants des deux clubs viennent en aide à ceux qui sont tombés. Bernard Tapie est de ceux-là. "J'en ai soulevé des barrières...", se remémorait-il dans l'ouvrage "Furiani 20 ans". "J'ai fait ce que j'ai pu. J'ai remué, alerté, tenté de prévoir et d'organiser un maximum de choses pour les départs vers les hôpitaux, pour les rapatriements vers Marseille, pour les soins, pour les avions, pour mobiliser tous ceux qui étaient disponibles. Heureusement, nombreux sont ceux qui ont été à la hauteur, capables d'un formidable dévouement." De l'avis de tous, celui qui était également ministre de la Ville à ce moment-là, a sauvé des vies, comme de nombreux bénévoles et secouristes qui ont fait avec les moyens du bord.

Un mouvement de solidarité extraordinaire, qui sauva des vies, mais pas toutes. Le drame de Furiani a brisé 19 vies mais également celles de leurs familles ou amis, et des blessés. Ils s'appelaient Antoine Angelini, Guy Brunel, Marie-Pierre Campana, André Casta, Alexandra Drillaud, Jean-Baptiste Dumas, Jean Ferrara, Antoine Geronimi, Thierry Giampietri, Dominique Giannoni, Santa Grimaldi, Pierre-Jean Guidicelli, Cédric Lalliat, Lucien Marsicano, Christian Mattei, Michel Mottier, Marie-Laure Ottaviani, Raoul Patrick Rao, Michel Vivarelli. Des noms qu'il ne faut jamais oublier, des disparus qui seront honorés ce dimanche, comme chaque année, au mémorial édifié à quelques mètres du stade de Furiani.

À la douleur du drame, va s'ajouter celle de l'injustice. En 1995, à l'issue du procès en première instance (janvier), puis en appel (décembre), une seule peine de prison ferme sera prononcée à l'encontre alors que treize personnes figuraient dans le box des accusés. Jean-Marie Boimond, l'ingénieur de l'entreprise Sud Tribunes, chargé du montage de la tribune Nord, purgera deux années de prison ferme en régime de semi-liberté. Une injustice qui ne sera pas la seule pour les familles de victimes.

Mitterrand : "On ne rejouera plus au foot en France un 5 mai"

Antoine Rao est le père de Raoul Patrick Rao, qui a succombé à ses blessures après cinq jours de coma. Il raconte dans "Furiani 20 ans". "Au milieu de tout le remue-ménage à l'hôpital (de Bastia, Ndlr), je me suis trouvé face à face avec François Mitterrand ; un garde du corps a essayé de se mettre en travers mais le président de la République l'a repoussé et, droit dans les yeux, m'a juré : 'On ne rejouera plus au foot en France un 5 mai'." La promesse présidentielle a longtemps été trahie, par le football français en particulier. C'est le combat qu'a mené pendant 28 ans le collectif des victimes de Furiani, avec le fameux "Pas de match le 5 mai, et qui a enfin été entendu.

D'abord grâce à la reconnaissance nationale de la tragédie en 2015, puis une nouvelle proposition de loi portée à l'Assemblée nationale par le député corse Michel Castellani et le groupe "Libertés et territoires" en février 2020 et promulguée en 2021. Depuis, aucun match de football professionnel ne peut se disputer le 5 mai, conformément à la promesse faite par Mitterrand et au souhait des familles de victimes. "Nous pouvons être enfin apaisées", se réjouissaient alors Josepha et Lauda Guidicelli, du collectif des victimes. Une reconnaissance essentielle, pour ne jamais oublier, mais qui n'effacera jamais la douleur de ce 5 mai 1992.

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