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Après la COVID longue, la «grippe longue» ?

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Même si cela fait longtemps qu'on sait que certains microbes laissent parfois des symptômes qui persistent pendant des mois, voire des années, la recherche biomédicale a laissé passer beaucoup d'occasions de mieux comprendre le phénomène, déplore Alain Moreau, chercheur à l'Hôpital Sainte-Justine de Montréal qui mène des travaux sur la COVID longue et sur l'encéphalomyélite myalgique (EMM), souvent appelée syndrome de fatigue chronique.

Mais à quelque chose, malheur est bon, dit le proverbe. Et il semble que la pandémie aura au moins servi à ça : sortir les «virus longs» de l'angle mort de la science. Non seulement beaucoup d'études ont été entreprises sur la COVID longue depuis 2020, mais on voit aussi se publier de plus en plus de travaux qui mesurent les symptômes à long terme d'autres virus communs, souvent l'influenza.

Tenez, ce mois-ci, dans le dernier numéro de la revue médicale Neurology, une étude a comparé la fréquence de six séquelles neurologiques (migraine, neuropathie, etc.) de patients qui ont été hospitalisés pour la COVID en 2020-21 avec celle de gens qui avaient été admis à l'hôpital pour la grippe entre 2016 et 2019. Et un an après la sortie de l'hôpital, les auteurs de l'article ont en fait trouvé plus de séquelles pour la grippe que pour la COVID.

Et plusieurs autres travaux du même genre ont été publiés au cours des derniers mois, concluant que oui, la «grippe longue» existe — bien qu'en règle générale, elle semble moins fréquente et moins grave que la COVID longue.

«Il y a eu une certaine évolution récemment chez le personnel soignant [dont certains ne croient toujours pas à l'existence de ces maux-là], mais on voit encore beaucoup de patients qui viennent consulter à la clinique de COVID longue après avoir reçu d'autres diagnostics pendant des mois ou même des années.»

—  Dr Alain Piché, clinique de COVID longue de Sherbrooke

«Il y avait des publications avant la pandémie sur le syndrome post-viral [le fait d'avoir des symptômes comme de la fatigue ou autre, bien après que le microbe ait été éliminé par l'organisme], donc il y avait déjà une suspicion, mais on avait beaucoup de mal à le démontrer, relate Nathalie Grandvaux, professeure de virologie à l'Université de Montréal. Dans les années 1990 ou 2000, souvent on ne faisait pas le lien entre une infection et les symptômes six mois après, et on n'avait pas vraiment les échantillons qu'il fallait pour prouver le lien de causalité. Ce que la COVID a changé, c'est qu'il y a eu beaucoup plus de gens infectés en même temps, beaucoup de suivis et beaucoup de recherche là-dessus.»

«Avant la pandémie, ajoute Dr Alain Piché, infectiologue à la clinique spécialisée de COVID longue de Sherbrooke, les syndromes chroniques post-infectieux qu'on voyait était surtout liés à la maladie de Lyme et, des fois, à la mononucléose. Ce qui est arrivé avec la COVID, c'est que c'était nouveau, beaucoup plus de monde l'a eue et le pourcentage des gens qui font la forme longue est plus élevé, aussi. Avec la maladie de Lyme, c'est environ 5 % qui font la forme longue, alors que c'est 15 à 30 % avec la COVID, selon les cohortes. Alors le phénomène n'est pas nouveau, mais ça a beaucoup plus retenu l'attention avec la pandémie.»

Et une fois le lien entre le SRAS-CoV-2 et la COVID longue établi, la prochaine étape devenait naturellement de comparer avec d'autres virus comme l'influenza.

Zones d'ombre

Si l'existence des «virus longs» semble de mieux en mieux établie, les mécanismes qui expliqueraient comment un virus qu'on n'est plus capable de détecter chez une personne peut continuer de la rendre malade, eux, demeurent un mystère.

«Il y a trois hypothèses principales actuellement, explique Mme Grandvaux. D'abord, peut-être que le virus se cache à un endroit dans l'organisme qu'on n'a pas encore trouvé. Ensuite, toutes les infections virales provoquent de l'inflammation, mais il se pourrait que les mécanismes qui doivent ramener l'inflammation des niveaux normaux une fois que l'infection est terminée soient défectueux [et les symptômes des «virus longs» seraient alors des conséquences de cette inflammation chronique].

«Et enfin, il se pourrait aussi qu'on ait affaire à une maladie auto-immune, où certaines protéines du patient ressemblent à des protéines virales au point que même après que le virus ait été éliminé, le système immunitaire continue d'y réagir.»

Les gens ayant été hospitalisés pour la COVID-19 peuvent souffrir de migraines fréquentes. (123RF, fizkes)

Cependant, un problème avec une bonne partie des efforts de recherche jusqu'à maintenant est que «beaucoup de chercheurs étudient la COVID longue en regardant seulement quelques tests de base, et là ils ne trouvent rien», dit M. Moreau. Dans deux études qui devraient paraître prochainement, il a plutôt soumis des volontaires atteints de COVID longue à un effort physique en laboratoire, «parce qu'on sait qu'environ 60 % d'entre eux vont avoir des "malaises post-effort", leur corps n'est pas capable de s'ajuster à l'effort», dit-il.

Et il affirme avoir trouvé des différences épigénétiques notables chez ces patients-là, comparés à des gens sédentaires qui n'ont pas le syndrome. «C'est une étape importante pour mieux comprendre comment les virus peuvent amener des séquelles à long terme», indique-t-il.

Vers des biomarqueurs ?

On verra ce qu'il en est lorsque ces études seront publiées mais, si les travaux M. Moreau menaient éventuellement à des tests (sanguins ou autres) permettant de bien identifier les patients atteints de COVID longue ou d'autres formes de «microbes longs», il y aura certainement des preneurs.

«Il y a beaucoup d'efforts présentement pour trouver des biomarqueurs, dit Dr Piché, parce que le problème avec des maladies comme la COVID longue ou l'EMM, c'est que ça se présente avec pas mal les mêmes manifestations, alors c'est impossible à distinguer présentement.»

Et comme les symptômes sont très génériques, beaucoup de patients se font ballotter d'un spécialiste à l'autre pendant longtemps avant d'avoir un diagnostic ou de se faire référer à une clinique de COVID longue.

«Il y a eu une certaine évolution récemment chez le personnel soignant [dont certains ne croient toujours pas à l'existence de ces maux-là], mais on voit encore beaucoup de patients qui viennent consulter à la clinique de COVID longue après avoir reçu d'autres diagnostics pendant des mois ou même des années. Souvent, le premier réflexe du médecin est de dire que c'est une dépression, à cause de la fatigue, de la faible résistance à l'effort, etc.»

Malheureusement, enchaîne M. Moreau, l'intérêt des gouvernements pour les syndromes post-infectieux semble déjà commencer à fléchir. «Ça n'est plus la saveur du mois, déplore-t-il. […] Mais ces travaux-là, ça peut servir pour le prochain cycle, la prochaine pandémie. Faudrait que les gouvernements comprennent que ça va finir par être utile, mais pas nécessairement dans le court terme.»

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