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Camps de migrants en Tunisie : Sfax ou le Calais tunisien

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Des migrants d'Afrique subsaharienne dans un camp près de Sfax en Tunisie. © Yassine Mahjoub/SIPA

Les oliveraies d'El Amra et de Jebeniana, non loin de Sfax, la deuxième ville de Tunisie, ont pris, ces dernières années, des airs de jungle calaisienne : des dizaines de milliers de migrants venus d'Afrique subsaharienne y ont planté leurs tentes, coupent les branches d'olivier, font du feu et attendent ici les passeurs qui les mèneront en Europe.

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Lundi dernier, sur la demande de Kaïs Saïed, le président tunisien, c'est un immeuble où vivaient des dizaines de migrants illégaux à l'intérieur de la ville de Sfax qui a été investi par les forces de sécurité. La semaine dernière, à la suite d'une sombre affaire d'agression et des manifestations qui ont suivi, des opérations du même type avaient vu l'intervention de la garde nationale pour démanteler les campements des clandestins (plus de 20 000 dans la région).

Au même moment, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), le principal syndicat du pays, fondé en 1946 et très impliqué dans l'indépendance, avait dénoncé l'impuissance du gouvernement sur la question. L'UGTT s'était inscrite en soutien des riverains, principalement des agriculteurs, privés de la jouissance de leurs champs, menaçant même d'une grève générale pour « protéger le droit des habitants de protester pacifiquement et demander une solution radicale au flux continu des Subsahariens vers les délégations d'El Amra et de Jebeniana ».

La Tunisie n'est en fait qu'un lieu de transit pour des migrants qui ont déjà parcouru des milliers de kilomètres et cherchent à gagner l'Europe. Simon Guérin, professeur d'histoire à Tunis et à Sfax, témoigne : « Il y a un flot continuel de migrants qui ne restent pas en Tunisie. Les Ivoiriens et les Sénégalais peuvent arriver légalement et sans visa quand les Guinéens utilisent plus les filières illégales passant par le désert. » Le prix d'une traversée pour Lampedusa varie ainsi entre 3 000 et 15 000 dinars (soit entre 900 et 4 500 euros) en fonction de l'habileté du capitaine et de sa capacité à arriver à bon port.

Le système fonctionne grâce à des intermédiaires payés à l'avance qui font patienter les candidats au départ pour une durée pouvant aller jusqu'à six mois. Ceux qui ont échoué à traverser la Méditerranée attendent donc de retenter leur chance et s'installent à l'endroit le plus proche de leur point de passage.

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Une gestion des frontières assez peu efficace

Quelques jours plus tôt, lundi 22 avril, les chefs d'État de l'Algérie, de la Tunisie et de la Libye se sont réunis à Tunis autour de cette épineuse question. En l'absence remarquée du Maroc et de la Mauritanie, les trois parties ont réussi à s'accorder sur la « formation des équipes communes […] qui seront chargées de sécuriser les frontières communes du danger et des impacts de l'immigration non organisée ».

À l'heure actuelle, Tunis ne règle pas vraiment le problème. Au mieux, elle reconduit les clandestins aux frontières algériennes et libyennes, comme se contentant de refiler la patate chaude à ses voisins qui se montrent assez peu coopératifs en la matière. L'État tunisien entretient le flou sur les solutions concrètes qu'il compte apporter au problème : le porte-parole de la Garde nationale, le colonel Houssemeddine Jebabli, a simplement déclaré que les clandestins seraient déplacés dans d'autres zones, sans donner plus de précisions. L'idée consistant à rouvrir le camp de rétention de Bir Fatnassia est d'ailleurs redoutée par les Tunisiens, car elle signifierait l'installation pérenne des immigrés dans le pays.

À l'heure actuelle, Tunis ne règle pas vraiment le problème

Toujours selon Simon Guérin, « il existe aussi sans doute de la corruption avec certains agents publics. On laisse un peu passer tout le monde, et il n'y a pas véritablement de gros coups de filet contre les passeurs ou les clandestins. En somme, la politique d'expulsion relève surtout de la communication ». Le régime des visas n'a, par exemple, pas été durci, du fait notamment des pressions de l'Union africaine qui avait menacé de prendre des mesures à l'encontre des ressortissants tunisiens résidant en Afrique de l'Ouest.

Au mois de juillet 2023, un accord a pourtant été conclu entre l'Union européenne et la Tunisie en vue d'améliorer la gestion des flux migratoires, avec, à la clé, le déblocage d'une enveloppe de 105 millions d'euros. Quelques mois auparavant, Kaïs Saïed avait mis le doigt sur la crise migratoire qui sévissait dans le pays, en brocardant des « hordes de migrants clandestins », auteurs, selon lui, de violences et de crimes, et également coupables, à ses yeux, de « modifier la composition démographique de la Tunisie » afin d'en faire un « pays africain ». Depuis lors, la situation n'a que peu évolué.

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