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Europe : la droite annule les mesures écolos de la PAC

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25 avril 2024 à 08h18 Mis à jour le 26 avril 2024 à 15h33

Durée de lecture : 6 minutes

Les règles environnementales de la PAC ont été modifiées lors d'un vote en urgence des députés européens. « C'est un choix qui tourne le dos à l'avenir », dénonce l'eurodéputé socialiste Christophe Clergeau.

Davantage de cultures gourmandes en pesticides et engrais chimiques, moins d'espaces dédiés à la biodiversité. Voici, en résumé, ce pour quoi ont voté en urgence les députés européens mardi 23 et mercredi 24 avril. Une majorité composée surtout de députés libéraux, de droite et d'extrême droite ont validé des modifications des règles environnementales de la PAC - Politique agricole commune. Une politique qui représente un tiers du budget de l'Union européenne, 9 milliards d'euros par an distribués aux agriculteurs français chaque année. Et qui pourrait, si les dirigeants politiques le souhaitaient, rendre notre agriculture respectueuse du vivant, du climat, tout en continuant de nous nourrir.

C'est finalement l'inverse qui risque de se produire. Le labourage des prairies permanentes, pourtant riches en biodiversité, va être facilité. L'obligation de dédier 4 % des surfaces agricoles à des mares, haies ou jachères, petits interstices si utiles au vivant — et à l'agriculture, a été balayée. Les fermes de moins de 10 hectares vont être exemptées de contrôles sur ces règles environnementales. Les règles de rotation des cultures seront assouplies. Un « détricotage » dénoncé par l'eurodéputé socialiste Christophe Clergeau.

Reporterre — Deux mois ont suffi pour que des mesures favorables à l'agro-industrie soient adoptées par toutes les institutions de l'Union européenne. Pensiez-vous qu'il était possible de modifier aussi rapidement ces critères environnementaux de la PAC ?

Christophe Clergeau — Non. Ces décisions ont été prises dans la précipitation, sans étude d'impact, sans concertation, à l'aveugle. La Via Campesina [syndicat agricole européen de gauche], les ONG environnementales, les scientifiques, n'ont pas été associées au travail de la Commission européenne. Cela a été mené dans le plus grand secret entre les États, la Commission et le Copa-Cogeca [équivalent européen de la FNSEA].

Par ailleurs, lundi 22 avril, les écologistes, avec le soutien d'une bonne partie de la gauche et du groupe socialiste, avaient demandé à ce qu'il y ait un débat en plénière sur cette réforme de la PAC. Cela a été refusé par un vote conjoint des extrêmes droites, du PPE [Parti populaire européen, centre-droit] et des centristes. Donc ceux qui ont promu cette réforme ont refusé qu'elle soit débattue au Parlement européen. Ce qui est quand même paradoxal. De quoi ont-ils honte  ? Qu'est-ce qu'ils n'assument pas  ?

En quoi ces votes actent des reculs environnementaux ?

C'est un peu technique. Pour les prairies, la règle est qu'on n'a pas le droit de les réduire de plus de 5 % par rapport à l'année de référence. Là, on laisse la possibilité aux États de changer l'année de référence. Évidemment, si vous changez l'année de référence, vous changez la règle du jeu et vous incitez à retourner les prairies [c'est-à-dire les changer en culture]. Or, les prairies permanentes sont des puits de carbone, ce sont des sols plus vivants, avec plus de biodiversité, des vers de terre, etc.

Un deuxième élément important est celui qui concerne l'obligation d'avoir au moins 4 % des surfaces agricoles consacrées aux bords de rivières, aux arbres isolés, aux mares, aux jachères, etc. On y renonce quasiment puisqu'on dit que ce n'est plus une obligation. C'est chaque État qui pourra choisir, comme il le souhaite, de soutenir ces surfaces.

Par ailleurs, les exploitations de polyculture-élevage ou d'élevage qui sont un minimum extensives respectent déjà cette règle des 4 %. Encore une fois, abandonner cette contrainte sur les mares, les arbres isolés, les haies, les bords de rivières, ça n'a d'intérêt réel que pour ceux qui font des grandes cultures.

Pourquoi cette réponse de l'Union européenne à la crise agricole ne vous semble pas adaptée ?

La première demande des agriculteurs, c'était un revenu digne. Et une visibilité sur les conditions économiques dans lesquelles ils exercent leur métier. Il n'y a aucune réponse là-dessus. Ceux qui se retrouvent les dindons de la farce, ce sont les éleveurs et les petites et moyennes exploitations. Ceux qui triomphent, ce sont les grandes cultures céréalières, ces très grandes exploitations qui aujourd'hui captent déjà l'essentiel des aides de la PAC et qui dirigent les syndicats et les lobbys agricoles au niveau national et européen. Il y a un fantastique marché de dupes : les agriculteurs qui ont manifesté pour une revalorisation de leur revenu sont instrumentalisés pour réduire les contraintes environnementales des grands bénéficiaires de la PAC.

« C'est un retour en arrière »

Il faut quand même rappeler que cette PAC, quand elle a été adoptée [1], était déjà un mauvais compromis. Il n'y a pas de changement de modèle. On continue à donner des aides en fonction du nombre d'hectares, sans régulation forte des marchés. C'est une PAC libérale qui pousse à l'agrandissement des fermes et ne garantit pas le revenu des agriculteurs. Les règles écologiques de la PAC étaient censées être la contrepartie de tout cela. Cet équilibre, qui n'était déjà pas terrible, a été rompu. On abandonne les rares leviers qui permettaient de s'assurer un impact plus positif de l'agriculture sur la biodiversité, l'environnement, les territoires. C'est un retour en arrière.

La Commission européenne justifie ces mesures par un besoin de « simplification » des règles qui s'appliquent aux agriculteurs. N'est-ce pas effectivement nécessaire ?

Retourner plus facilement les prairies, ne plus avoir à comptabiliser les surfaces agroécologiques sur son exploitation, on peut appeler ça des simplifications. Mais je ne vois pas de simplification des modalités administratives, des allégements de contraintes de gestion. Ce que je vois, c'est que les conditions écologiques de la PAC sont affaiblies. J'appelle ça du détricotage. C'est un choix qui tourne le dos à l'avenir. Au lieu de mieux accompagner les agriculteurs vers l'agroécologie, on donne le signal que l'on peut reculer.

Quelle est la suite, maintenant que c'est voté ?

Cela risque d'être un vrai bazar. Je crains beaucoup de divergences entre États dans la mise en œuvre et beaucoup de confusion et d'erreurs sur le terrain liées à l'impréparation de cette réforme et à la difficulté pour les administrations, les chambres d'agriculture et surtout pour les agriculteurs de s'en saisir.

Les agriculteurs vont faire leur déclaration PAC dans les semaines qui viennent. Ce sont les exploitations les plus structurées, les mieux organisées, qui ont la capacité administrative la plus importante qui sauront se saisir de ces mesures. Les petites exploitations vont être dépassées par toutes ces informations administratives nouvelles. Il y aura une inégalité profonde entre agriculteurs.

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